Igor Sarkosky s’approcha de Steve et lui caressa doucement la
joue sans un mot. Il lui fit signe de ne rien dire et d’entrer dans la pièce où
la lecture du testament se déroulait. Tandis que Steve ouvrait la porte, le
notaire poursuivait son monologue :
« Conformément à la volonté de Nikolaï Sarkosky une
nouvelle fois, en l’absence d’Igor Sarkosky, officiellement décédé, je vais
donc vous lire les lignes du testament correspondant à ce cas de figure. »
Le notaire s’interrompit pour accueillir Steve :
« Mr Keller, bienvenue. Votre présence ne change rien à
ce que je viens de dire, et à ce que je m’apprête à dire. Venez donc vous
installer ici. » dit-il en indiquant la place libre à côté de John Keller.
Steve obéit, sans un regard vers les autres. Il n’était pas bien sûr de
comprendre ce qui était en train de se passer mais il était sûr que le
dénouement était pour bientôt. Et effectivement, ce que le notaire dévoilait
petit à petit lui permit de reconstituer le puzzle dans son ensemble.
Nikolaï Sarkosky, son grand père, était à la fois le père de
son père biologique, et le père de sa mère adoptive. Il était riche, mais aussi
tout à fait farfelu. En plus d’avoir caché sa fortune à sa famille, il avait
rédigé un testament inhabituel : si un seul de ses enfants se trouvaient
en vie 50 ans après sa mort, alors celui-ci devait choisir lequel de ses
propres enfants toucheraient la totalité de l’héritage. Le notaire notant que
seule Suelen était en vie à ce jour, c’était à elle de choisir qui de Sally ou
Steve allait hériter. Voilà donc la clé de toute l’énigme. Nul doute que la
mafia russe avait eu vent de cette clause, et qu’une guerre secrète s’était
engagée entre John et Vlad pour tenter de récupérer la fortune du vieux
Nikolaï. Vlad avait fait une fille à Suellen, tandis que John avait réussi à
faire de celle-ci sa femme et la mère adoptive de son propre neveu, Steve
lui-même, abandonné dans des circonstances inexpliquées mais que Steve savait reliées
à tout cela. Les deux mafieux espéraient ainsi être lié à l’héritier au bon
moment : Vlad via Sally, John via Steve. Ils avaient ensuite œuvré pour
que l’autre perde cette bataille. Vlad faisant surveiller Steve par Paul pour
le supprimer lorsqu’il le pourrait, ce qui avait failli se produire le matin
même, et John protégeant Steve tout en essayant de tuer Sally, ce qui avait
failli également se produire le matin même, sans la protection active de Vlad.
Un vrai méli-mélo, mais qui avait du sens finalement. Au passage, évidemment,
il fallait qu’Igor disparaisse. La perversité de Vlad avait été de le faire
tabasser à mort par son propre fils, sous l’emprise de drogues puissantes
administrées par son meilleur ami…
Steve n’était pas le seul à comprendre petit à petit le lien
entre les événements de ces derniers jours et l’ensemble de sa vie. Suelen et
Sally aussi faisaient les mêmes liens. Et Suelen comprenait que la fin de cette
histoire allait reposer intégralement sur ses épaules. Et en effet, le notaire
poursuivait :
« Ma chère Mme Selena Sarkosky, c’est donc à vous qu’il
incombe de donner sens à cet héritage, en choisissant lequel de vos
descendants, Mr Steve Keller ou Mme Sally Viora, aura la chance d’hériter des
6,5 millions de dollars US de Mr Nikolaï Sarkosky ». A l’évocation de
cette somme, un silence pesant se fit dans la salle, chacun se figurant enfin
l’enjeu de toutes les bassesses et perfidies réalisées par l’ensemble des
protagonistes de cette sombre histoire ces dernières années. Suellen, évidemment,
ne pouvait faire son choix. Steve et Sally restaient silencieux, complètement
dépassés par les événements. Vlad et John, conscients qu’ils étaient arrivés
tous deux au point d’orgue des plans qu’ils avaient chacun échafaudés,
essayaient tour à tour de convaincre Suelen de confier l’héritage à leur
poulain respectif. Le ton montait peu à peu. Lorsque Vlad sortit son Makarov,
John sortit son Magnum, et leurs hommes de main commencèrent à vouloir s’en
prendre les uns aux autres également. Dans un geste théâtral, le notaire claqua
alors des doigts, et les 10 hommes en costard qui l’accompagnaient sortirent
simultanément un pistolet semi-automatique. Chacun mis en joue l’un des
« invités » présents dans la salle, et le dernier type en short et
marcel se chargea de récupérer les armes de Vlad, John et de leurs hommes de
main, en exécutant une drôle de danse, les bras battants au-dessus de sa
tête…
« Ce brave Nikolaï avait tout prévu, encore une
fois. Reprenons calmement s’il vous plait » lâcha le notaire, qui
n’avait pas bougé d’un pouce.
Mais avant que la discussion ne reprenne, la porte du fond
s’ouvrit sur Igor, et une clameur s’éleva dans la salle.
« Monsieur Igor Sarkosky, quelle surprise ! »
ajouta le notaire.
« - J’avais cru comprendre que vous n’étiez plus de ce
monde. Il faut croire que certains fonctionnaires de l’administration civile
russe n’ont finalement pas été assez dédommagés.
-
Igor, fils de chien, je te croyais mort et
enterré. S’exclama Vlad.
-
Il faut croire que Steve n’a pas eu la main
assez lourde » grommela John comme pour lui-même.
Le notaire fit un signe discret au type en marcel et en
short qui approcha une chaise pour compléter le premier rang. Ils étaient
désormais 6 héritiers potentiels.
« Bien, continua-t-il imperturbable. Nous changeons
donc finalement de cas de figure et je vais donc vous lire la partie du
testament de Mr Nikolaï Sarkosky devant être lue en présence de ses deux
enfants, Selena et Igor. » Il décacheta une nouvelle enveloppe, et
s’éclaircit la voix :
« Au cas où mes deux enfants seraient encore en vie 50
ans après ma mort, je souhaite que mon argent soit intégralement reversé à une
association à but humanitaire œuvrant en Afrique de l’ouest, tirée au hasard
parmi les associations officiellement répertoriées en France ».
Le notaire souriait. Il était probablement le seul dans la
pièce à apprécier en cet instant le côté éminemment farfelu de Nikolaï
Sarkosky…
Quelques mois plus tard sur le plateau d’une
émission de télé locale.
« Mon cher Basile, cet entretien arrive donc à son
terme. Une dernière question à propos de l’avenir. Rappelons à nos
téléspectateurs que votre association Kokoro For Ever, dont vous nous parlez
depuis 35 mn maintenant, a reçu récemment plusieurs millions de dollars d’un
mystérieux donateur resté anonyme. Une question nous brûle donc les
lèvres : Qu’allez-vous faire de tout cet argent ? Vous avez un
projet ?
-
Heu, je ne sais pas encore, bredouilla
l’invité ». Il prit son temps pour formuler les 4 mots qui allaient clore
à tout jamais cette histoire : « Peut-être le miel. »
3 commentaires:
L'art de relier les fils entremêlés dans ce sac de nœuds familial ! Bravo pour ce dénouement, c'est presque d'une simplicité désarmante. Je note que le type en Marcel n'a pas été ignoré : excellent !
une fin digne de sallustius qui clôture dignement l'un des plus grands romans de ces 1500 dernières années ! 4 mots de fin qui annoncent une saison 2 palpitante ! du génie !
C'est totalement fou ! La complexité d'une intrigue vieille de 12 ans, balayée en quelques lignes... Simple. Basique. Ce dénouement a le goût sucré d'une pastille au miel boostée au propolis 🍯
Bravo !
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